Rose-Angélique BUTRUILLE (1784-1858)

Sa fille ainée, Rose-Angélique (1784-1858) épousa Aimé-Constant-Joseph FIEVET (1772-1832), industriel et agriculteur à Masny. ( Actuellement le Chateau des Cimes rue suzanne lanoy).

Leurs descendances participerons à l’histoire de notre ferme-brasserie en 1940.

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Passages issus du livre d'Adrien DEMONT - Souvenances à travers ma vie - 1924

Papa passa son enfance à Douai, mais aussi beaucoup à la campagne où habitaient ses oncles et tantes à Roost-Warendin, à la ferme de M. Bernard et à Masny à celle de M. Fiévet. Tous deux, gros agriculteurs, avaient épousé des demoiselles Butruille, les soeurs de la mère de mon père.

Pendant un séjour 'de papa à cette ferme, un incendie anéantit la moisson de l'année, rentrée depuis quelques jours seulement. C'est cette exploitation que reprit, après la mort de l'oncle Fiévet et quand il fut en âge, son fils Constant.

L'oncle Fiévet fut frappé d'apoplexie à la suite d'une discussion et vécut encore quelque temps, mais privé de la parole. Sa femme continua à tenir la ferme que Constant devait par la suite faire tant fructifier.

Cet excellent oncle aimait beaucoup mon père. Dans les dîners on avait alors coutume de chanter son petit couplet au dessert et il disait à son neveu, alors encore gamin :
Allons Louis! à ton tour! chante nous « les bons paysans ! »

Mon père avait une belle voix et l'oncle était tout fier de faire entendre -cette chanson dont le refrain était : « Où en serions-nous sans les bons paysans !

La famille se composait de quatre garçons. Quand Madame Fiévet, venait voir ma grand'mère Demont, sa sœur, avec ses enfants, sauvages comme sont les petits paysans, ils tenaient leur mère par la jupe et c'était une affaire pour les voir, car ils se mettaient toujours derrière elle. Ils grandirent en pleine nature. François fut le premier qui partit en pension au Lycée de Douai tandis que Constant, Edouard et Achille restaient à la ferme. Aussi était-ce une joie quand.. aux vacances, le frère François revenait, et ses frères l'interrogeaient et lui faisaient raconter des, histoires. Ne devait-il pas tout savoir le frère puisqu'il était aU Lycée? Les quatre enfants couchaient dans la même chambre. Or un matin de vacances, voilà que, tout à coup ils sont réveillés par des cris de poule. Ils sautent en bas du lit, c'était le frère François qui poussait ces cris. Ils s'approchent de lui, inquiets. "Qu'est-ce qu'il y a, dis, mon frère François, pourquoi tu cries,t'as du mal? , Il y a que je vais pondre! » et effectivement il montra à ses frères ébahis, un œuf tout chaud. « Dis, mon frère François, comment t'as fait? » -« Eh bien j'ai crié cotte, cotte, codac, et j'ai poussé et puis c'est venu, j'avais pondu! »

Les enfants se remirent au lit tous les trois, essayèrent, mais ce ne fut pas un œuf qui sortit.

Pendant l'époque de l'occupation étrangère, c est-à~dire après 1815, la ferme de Masny hébergeait des soldats étrangers, entr'autr!;s un pasteur Danois qui y était logé depuis longtemps et qui dtnait à la table de famille.. La bonne apporte une saucisse aux pommes: Constant qui alors était tout petit, avance la main pour la toucher. Le pasteur le réprimande. A la deuxième tentative, le pasteur, tenant la lame dé son couteau en main, lui donne sur les doigts un léger coup avec le manche. Voilà notre petil bonhomme furieux qui se dresse sur sa chaise et qui s'écrie "Eh non, maman, qu'elle n'est mit à lui chelle saucisse si je veux la détortiner pour voir si elle a un long bout». L'enfant sentait que cet homme était .l'ennemi, il sentait que s'il était admis à la table, il ne devait qu'y manger el non commander, il était outré qu'un étranger ait le toupet de vouloir le gour~ mander chez lui.

Un jour que sa mère lui avait promis de faire des gaufres pour le souper et que tout était préparé, les œufs, la farine..Je beurre, qu'attentif il attendait que l'on fasse la pâte, arrive un vieil ami des environs appelé Cabra « Eh bien! maman et les gaufres?» dit Constant -« On les fera quand Cabra sera parti"

Mme Fiévet le fait entrer au salon et l'on cause de. choses intéressant la ferme, du temps qui est bien mauvais, et des blés qui ne poussent pas etc. etc, mais c'est que Constant n'entendait pas de cette oreille là. Au bout d'un moment qu'il rôdait auprès du brave Cabra, il lui dit:

  • « Eh bien, Cabra, est-ce que vous en avez encore long" puis un moment après
  • « Est-ce que vous allez bientôt vous en aller? »
  • » Mais qu'est-ce que tu as petit polisson? tu veux donc me faire partir et pourquoi? »
  • « C'est que maman a dit comme ça « on commencera les gaufres quand Cabra il sera parti.

Constant Fiévet venait de temps en temps en ville, chez son oncle Sigismond Leroy habitant Douai qui, un soir, mena son neveu au théâtre, voir un opéra. Le petit n'avait pas assez d'yeux pour regarder lous ces acteurs, tous ces décors, lui qui n'avait vu dans les ducasses, que des théâtres de marionnettes, la tentation de Saint Antoine, Geneviève de Brabant. Après le premier acte, c'est-à-dire pendanlle premier entr'acte, il dit à son oncle:

  • « Eh non, mon oncle,sinoIi qu'on sait que ce sont des Pourichinelles tout de même, on ne voit pas les ficelles 1 » D'autres moins naïfs les auraient peut-être vues.

François Fiévet devint colonel des pontonniers c'est fui qui en 1870, en pleine débâcle, rassembla les troupes éparses après les désastres; et organisa, avec ces éléments divers, la défense de Strasbourg.

Dans une sortie de la garnison dont il avait pris le commandement, il fut blessé d'une balle au mollet. La blessure n'étaitpas grave, mais mal soigné dans les casemates,li mourut de la gangrene.

Constant avait repris la ferme de soli père, et la transforma en ferme modèle où des jeunes gens venaient étudier l'agriculture. J'ai vu une de ses étables où il y avait 400 bêtes à cornes à l'engrais. Les mangeoires étaient desservies par de petits wagons sur rail, précédant l'invention des Decauville. J'ai vu une tour remplie de grains terminée par un entonnoir ce qui permettait de laisser couler le blé de temps en temps. L'air d'un van actionné par une locomobile en enlevait tous les insectes, toutes les impuretés, et une chaine à godets remontait ce grain au haut de la tour, de cette façon pas de crainte d'avarie.

En 1867, à la grande Exposition Universelle, il eut le diplôme d'honneur, fut fait officier de la légion d'honneur et reçut une magnifique coupe en argent ornée d'animaux divers, taureaux, moutons etc... etc. Après 1870 il fut nommé sénateur et mourut d'une apoplexie. A cinq heures du matin, lorsque, du haut du perron de sa demeure, il donnait des ordres à son chef de labour sa montre en main, il fut pris de congestion, comme son père. Il ne mourut qu'assez longtemps après. Il avait conservé so~ intelligence mais ne pouvait plus parler, ni faire comprend.re ses volontés. Pour pouvoir marcher il avait attaché une lanière à sa jambe frappée de paralysie et il tirait avec une de ses mains la lanière pour que sa jambe puisse se soulever. Il vécut ainsi de longs mois mais avec quelles souffrances morales!

Son frère Edouard fut fabricant de sucre à Sin-le-Noble, puis sénateur à la mort de son frère Constant. Son usine touchait presque au village de Dechy ainsi que sa maison d'habitation.

Achille était conseiller à la cour de Douai, il eut une seule fille, Camille, qui épousa M. Grimbert. Achille Fiévet avait un caractère toujours mécontent, s'embêtant partout. Un couplet de la chanson sur les magistrats d'alors, le dépeint:

Les membres de la cour sont tous de gais lurons Monsieur Achill' Fiévet seul fait. exception:
Il s'embête à la cour,
Il s'embête à l'amour,
Il s'embête tant et tant
Qu'il en est embêtant.

Il mourut subitement et n'avait guère plus de 50 ans. Il se préparait à aller à l'enterrement du conseiller Danel, on le trouva étendu sur le tapis de sa chambre, un soulier mis et l'autre à côté de lui.

La mère de ces quatre enfants, si elle avait entrevu, à l'époque où ils se cachaient dans ses jupes, les hautes situations qu'ils devaient conquérir, aurait été bien fière, elle qui venait en ville dans un gros chariot de ferme trainé par deux forts chevaux, chariot garni de paille fraiche pour s'asseoir et couvert d'une bâche blanche pour s'abriter du soleil ou de la pluie; elle qui n'aurait pas voulu mettre un chapeau, craignant de donner le mauvais exemple de la toilette aux femmes de son village.

Mais il faut le dire, son bonnet était en superbes dentelles, ses boucles d'oreilles, de gros diamants.

Vers 1855, l'épidémie de choléra fut formidable à Masny. Les frères Fiévet ensevelissaient, portaient et enterraient les morts, car la terreur était telle, qu'on ne trouvait plus personne pour faire cette triste besogne, aussi cette famille a-t-elle été aimée et respectée dans tout le pays.

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